Les Alternatives Catholiques

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ErbiLight 2 : L’INSTALLATION PRECAIRE AU KURDISTAN

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Publié le 30 décembre 2014 1 commentaire

L’INSTALLATION PRECAIRE AU KURDISTAN

Histoire du « camp B&B »

 

Erbilight ? La guerre en Irak ; la fuite de minorités religieuses vers le Kurdistan ; un jumelage entre Lyon et Mossoul ; un projet fou du Cardinal Barbarin ; un aller-retour en Irak pour presque 90 Français le premier week-end de décembre ; 5 camps de réfugiés visités ; une procession mariale, des distributions de papillotes et de médailles miraculeuses, une vingtaine de journalistes sur place, un buzz sur Twitter, des sourires et des larmes, un peu plus de fraternité entre l’Orient et l’Occident chrétiens, une situation humanitaire qu’on ne peut plus ignorer.

« Les réfugiés sont arrivés aux églises à pied. »
Archevêque d’Erbil.

L’expédition de dizaines de Français et de journalistes, présente en Irak du 5 au 7 décembre, avait pour but de rendre visite aux réfugiés dans leurs camps et de leur manifester la solidarité de chrétiens et de bienfaiteurs de la région lyonnaise. « Votre visite nous rappelle que nous sommes certes persécutés, mais jamais oubliés », nous dit l’archevêque d’Erbil, Mgr Bachar Warda. Il nous présente le camp nommé non sans humour « B&B ». C’était un complexe sportif mais il a été ouvert pour héberger les réfugiés peu de temps après le centre de l’église saint Joseph. Il explique pourquoi les chrétiens et yézidis que nous venons voir campent là où ils campent : « Les réfugiés sont arrivés aux églises à pied. Quand ils ont été trop nombreux, on a ouvert ce centre-ci et des écoles pour les accueillir. Il y a encore, non loin, quatre centres et onze écoles publiques. La province d’Erbil a veillé sur l’ouverture de ce centre, par le biais du responsable de la minorité chrétienne. »

Dans le centre B&B, Il y avait d’abord six salles remplies de familles chrétiennes : des salles pour les hommes, d’autres pour les femmes. Puis on a installé des tentes à l’extérieur. Aujourd’hui, il y a trois-cents familles. Le problème qui s’est posé pour cet hiver était la pluie. La commission des réfugiés a donc décidé d’installer 80 caravanes pour remplacer les tentes et 120 autres caravanes pour héberger les familles qui étaient dans le centre. Aujourd’hui, les salles sont vides car chaque famille a son lieu de vie. C’est d’ailleurs assis dans une de ces salles, qui leur sert maintenant d’église, que nous écoutons l’archevêque. Dans chaque lieu où nous passons, nous sommes accueillis par plusieurs discours. Ce sont les personnes les plus impliquées dans l’organisation de la survie des réfugiés qui nous parlent : beaucoup d’hommes d’Église, quelques laïcs. Il ya aussi sur place des ONG dont on reconnaît le logo à l’entrée de certains camps, notamment l’AED et l’Œuvre d’Orient.

 

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    Une Irakienne et son enfant ; au fond, la flèche de l’AED.

 

 

 

 

 

Tous les archevêques s’entendent pour redistribuer les dons qui leurs sont faits. Les têtes des Eglises chaldéenne, syriaque, orthodoxe sont rassemblées par la force des choses à Erbil et leur collaboration fraternelle est intense. Ces patriarches reçoivent des aides internationales, qu’ils redistribuent en commun non seulement aux camps peuplés de chrétiens, mais aussi aux camps de yézidis et de musulmans, plus délaissés que les chrétiens dont la presse du monde s’inquiète davantage. Il y a 480 caravanes à An Kawa en ce moment, dont 150 grâce à l’AED, 150 grâce à l’Œuvre d’Orient et 25 grâce à Caritas Irak. Aujourd’hui, chaque famille a une vie individuelle un peu plus stable, selon l’évêque, ce que nous confirment les deux orateurs suivants alors qu’ils détaillent les difficultés qu’ils ont rencontrées dans l’installation de leur camp.

« Aujourd’hui, chaque famille a une vie individuelle un peu plus stable. »
Mgr l’archevêque d’Erbil.

Un prêtre irakien raconte à son tour comment la vie matérielle a évolué dans ce « camp B&B », situé en bordure de la ville, sans rien autour que de vastes champs de terre. Au début, lorsque les hommes et les femmes étaient séparés dans les salles, l’hygiène était très limitée. Après, quand quelques familles ont pu être logées sous la tente, l’ennui était qu’il faisait très chaud, que les enfants étaient malades et qu’il y avait des serpents et des scorpions. Et quand la pluie est arrivée, il y avait chaque jour un nouveau problème. « Avec les caravanes, selon le Père, chaque famille a trouvé une vie individuelle et stable et peut cuisiner pour elle-même. Quand on vivait dans la même salle, on cuisinait un seul plat, donc on n’était pas toujours d’accord sur le menu. » Et l’on comprend aisément que cette autonomie retrouvée soit une étape importante pour ces familles qui avaient, il y a seulement cinq mois, le niveau de vie des classes moyennes ou aisées de leur pays. L’été dernier, ce sont eux qui auraient accueilli, hébergé dans leur maison, conduit dans leur voiture, nourri abondamment les voyageurs que nous sommes. Leur total dénuement a été soudain. Ils n’ont pas l’habitude de recevoir de l’aide pour leur vie matérielle. Maintenant, malgré leur précarité, les parents sont à nouveau seuls avec leur famille sous un toît qui est le leur, même provisoirement, même s’il est étroit et même s’il n’y a pas de chauffage.

La vie spirituelle de la communauté a également été facilitée par l’installation de tentes puis de ces préfabriqués que nous voyons autour du bâtiment. « Avant, raconte le prêtre, on célébrait la messe dans le stade ; aujourd’hui, on célèbre dans cette salle, qui est désormais un lieu spécifique pour la vie spirituelle. » De fait, la prière est essentielle dans de telles conditions de vie. Ainsi, quatre religieuses viennent chaque jour prier le chapelet avec les réfugiés du camp : deux le matin et deux le soir. Enfin, le « camp B&B » est privilégié : ses enfants ont une occupation la journée, grâce à l’ONG « Save the Children », qui leur fait suivre un programme pendant la semaine. Les enfants des autres camps, apparemment, n’ont rien qui ressemble à une école ou à des activités. Nous comprenons alors que malgré la présence, parmi ces réfugiés, de professeurs, d’instituteurs, d’adultes formés et compétents, aucun ne semble avoir l’énergie de mettre en place une école de fortune pour ne pas laisser vaquer les enfants. Nous mesurons le choc qui se produit lorsque toute structure étatique et sociale a disparu, et que chacun n’est inquiet que de sa propre survie : ici, la vie matérielle est tellement difficile que les individus ne peuvent pas encore rassembler leurs forces pour faire des projets en commun. L’aide extérieure devient alors une nécessité… Elle se présente sous la forme de l’Eglise, structure qui tient encore dans la tourmente quand les individus, eux, sont atomisés, et sous la forme d’organisations internationales, c’est-à-dire de structures qui n’ont pas été touchées par le conflit.

 

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    Enfants courant dans un camp pendant une de nos visites.

 

 

 

 

« On réclame une protection internationale. »
Monsieur du « camp B&B ».

Le troisième orateur est un réfugié laïc du camp. A son tour, il nous refait le récit de la récente tragédie : « Nous avons été chassés dans la plaine de Ninive, de plusieurs villages dont Qaraqosh, le 6 août. Donc nous avons été obligés de venir au Kurdistan. Le gouverneur de cette province a ouvert les portes pour nous accueillir : qu’il en soit vivement remercié. Nous avons été chassés de nos maisons. » Voilà le témoignage que nous entendons et réentendons, suivi de la même conclusion : un appel à l’aide. « On a perdu voiture, maison, tout. Donc on réclame une protection internationale. » Il énumère les besoins spécifiques des habitants de son camp : « Il y a le problème des jeunes au chômage malgré le fait qu’ils aient fini leurs études. Il y a les personnes âgées dans les caravanes, où il fait très froid ; on a besoin le plus vite possible de médecins ici, car elles ont des problèmes de diabète, de tension, de cœur. Les médicaments existent mais ils sont très chers. On souhaite voir nos régions sécurisées le plus vite possible. » Ce qui ne nous est pas dit, mais que nous apprenons dans les autres camps, est que l’on y manque d’eau chaude, d’électricité et que la nourriture est un souci quotidien. Nous voyons les femmes étendre du linge lavé à la main, elles qui avaient sans doute des machines à laver dans leur maison d’avant. La cuisine se fait sur de petites plaques électriques à l’extérieur des caravanes, à côté d’un évier qui sert tant à se raser, en public, qu’à faire la vaisselle. Les sanitaires sont communs bien sûr, et pas toujours très confortables.

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    Etendages dans le « Camp 128 », visité le dimanche.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Mais le monsieur du « camp B&B » conclut son discours : « Ici, on a une vie œcuménique : chaldéens, syriaques, orthodoxes. Tout ce qu’on mène comme travail pour aider les chrétiens est en collaboration avec les différents archevêques. Il n’y a aucune différence dans le travail de chacun de ces patriarches. Merci à tous. » Malheureusement, nous n’avons pas le temps de nous attarder dans ce camp pour rencontrer davantage ses habitants, pour poser des questions ; notre groupe devra se contenter de ces trois prises de parole et des regards sérieux des réfugiés qui sont entrés avec nous dans la salle pour entendre ce qui s’y disait. Nous filons vers le camp d’An Kawa Mall. Là, nous aurons un long moment pour déjeuner dans des familles irakiennes et nouer quelques liens avec des hôtes bien éprouvés.

 

A suivre : Erbilight 3 et 4.
La semaine prochaine, rencontre avec des familles réfugiées : « Erbilight 3 : Visitation dans les camps. »

 

 

Crédit Photo : www.erbilight.org

Manon

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