Les Alternatives Catholiques

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Atelier de formation | Laboratoire d'action – Cafรฉ & Coworking "Le Simone" ร  Lyon

A la place des musulmans. Sur un livre d’Edwy Plenel.

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Publiรฉ le 17 dรฉcembre 2014 1 commentaire

ย  ย  Jโ€™avais tout pour รชtre dโ€™accord avec Edwy Plenel. Comme lui jโ€™estime quโ€™il existe une mรฉfiance injuste, et parfois une violence tout aussi injuste, ร  lโ€™encontre des musulmans aujourdโ€™hui en France. Comme lui jโ€™avais lu le livre dโ€™Alain Finkielkraut, lโ€™Identitรฉ malheureuse, et je lโ€™avais trouvรฉ faible, nihiliste, et mal รฉcrit. Mais ย lorsque jโ€™ai regardรฉ le dรฉbat entre ces deux publicistes, jโ€™ai รฉtรฉ frappรฉ du niveau dโ€™hystรฉrieย : lโ€™un dit ยซย je suis pour les musulmansย ยป, lโ€™autre finit par dire, en gros : ยซย vous รชtes antisรฉmiteย ยป.

ย  ย  Plenel nโ€™avait donc manifestement pas rรฉussi ร  pacifier le dรฉbat, mรชme sโ€™il faut dire que Finkie a le ยซย taisez-vousย ยป facile. Dโ€™oรน vient cette facultรฉ de la rhรฉtorique de Plenel ร  produire encore plus de conflitย ? Pourquoi un discours qui prรฉtend lutter contre le ยซย conflit de civilisationย ยป produit-il encore plus de conflitย ?

ย  ย  Jโ€™ai donc lu ยซย Pour les musulmansย ยป.

ย  ย  Cette lecture, comme le dรฉbat avec Finkielkraut, mโ€™a laissรฉ mal ร  lโ€™aise. Jโ€™avais lโ€™impression dโ€™un avocat dont les arguments serviraient lโ€™accusation. Ou dโ€™un avocat masquant mal un procureur (de la Rรฉpublique).

ย  ย  Trois points.

ย  ย  A la place des musulmans, car il les fait entrer de force dans une idรฉe de la dรฉmocratie qui nโ€™est pas forcรฉment la leur. Il ne pense la prรฉsence ยซย des musulmansย ยป[1] quโ€™au sein dโ€™une certaine idรฉe de la dรฉmocratie. La seule garantie de la prรฉsence pacifiรฉe des musulmans en France serait donc cette idรฉe de la dรฉmocratie. Or quelle est cette idรฉeย ? ยซย Sโ€™il fallait un synonyme ร  dรฉmocratie, ce serait bien le mot de dรฉplacementย : refus des vies dรฉterminรฉes, des places assignรฉes, des identitรฉs fermรฉes, et par consรฉquent des futurs immobilesย ยป (p.86). Doit-on penser nรฉcessairement le vivre-ensemble avec les musulmans seulement ร  partir du concept de dรฉplacementย ? Est-ce seulement en tant que dรฉplacรฉ que le musulman peut sโ€™intรฉgrer ร  une Rรฉpublique de dรฉplacรฉs[2]ย ?

ย  ย  A la place des musulmans, car ce nโ€™est pas vraiment des musulmans dont parle Plenel. Ce que ce cโ€™est, rรฉellement, profondรฉment, quโ€™รชtre musulman, Plenel nโ€™en a rien ร  fiche. Car le musulman est pour lui soit un pauvre, soit une minoritรฉ. Jamais un homme qui trouve dans la foi des ressorts pour servir la justice ou le bien commun. Lโ€™exรฉgรจse qui est faite de la phrase de Marx ยซย la religion est lโ€™opium du peupleย ยป[3] le ditย : cette phrase veut seulement dire, rappelle Plenel, que la religion est ยซย un divertissement plutรดt quโ€™un abรชtissement, un moyen agrรฉable de dissiper une rรฉalitรฉ dรฉtestable, une faรงon de la refuser par le dรฉtour dโ€™une fuite virtuelleย ยป (81). Nous voilร  rassurรฉsย ! Toutes les pratiques spirituelles sont ramenรฉes ร  un concept unique de ยซย religionย ยป, et ce concept est rรฉduit ร  nโ€™รชtre quโ€™une expression de la misรจre sociale. De plus รชtre musulman nโ€™est pas diffรฉrent pour Plenel quโ€™รชtre une autre minoritรฉ dans un autre contexte, ร  tel point que ce que lโ€™Islam peut apporter de spรฉcifique ร  la Rรฉpublique est une question hors de propos pour lui. A aucun moment nโ€™est pensรฉ que la religion puisse รชtre pour la Rรฉpublique autre chose quโ€™une drogue douce pour supporter la souffrance ou une identitรฉ minoritaire. Or cโ€™est bien en tant que tels que les musulmans sont dรฉtestรฉs, par les laรฏcards qui les traitent en religion de sous-dรฉveloppรฉs, et par les suprรฉmacistes qui veulent rรฉduire, ou assimiler, les identitรฉs minoritaires. Serait-il possible de penser la religion positivementย ? Non pas seulement comme non-majoritรฉ ou comme identitรฉ non-dominante, mais comme source de lien social, voire vecteur de libertรฉย ?

ย  ย  A la place des musulmans, car je ne peux pas mโ€™empรชcher de penser que Plenel parle en leur nom mais sans mandat. Bien sรปr, il est bon de dรฉfendre les faibles et les opprimรฉsย ; mais ils sont prรฉcisรฉment dans un contexte oรน tout le monde parle ร  leur place, et oรน tout est fait pour quโ€™il ne puisse surtout pas sโ€™exprimer par eux-mรชmes, en leur nom propre. Aussi je risquerais le terme de ยซย continuum colonialย ยป pour qualifier un tel ouvrage. La colonisation est une pratique de nรฉgation de la spรฉcificitรฉ dโ€™un peuple, que ce peuple soit sur un autre territoire, ou sur le nรดtre (cโ€™est tout le discours autour de lโ€™assimilation). Mais cette nรฉgation peut รชtre trรจs subtileโ€ฆ Jโ€™en veux pour preuve lโ€™utilisation du concept dโ€™ย ยซย islamophobieย ยป. Plenel a raison de rappeler que le terme nโ€™a pas รฉtรฉ inventรฉ par lโ€™Iranย : ยซย son invention est bel et bien franรงaise, remontant ร  1910ย ยป (p.64-65). Mais en 1910, il a bel et bien รฉtรฉ inventรฉ par un colonialiste, Alain Quellien, ยซย Elรจve brevetรฉ de lโ€™รฉcole coloniale, rรฉdacteur au ministรจre des coloniesย ยป[4].

ย  ย  On parle toujours ร  la place des musulmans. Je m’arrรชteย lร .

 

ย 

 

[1] Jโ€™emploie cette gรฉnรฉralitรฉ au mรฉpris de la diversitรฉ des musulmans de France, pour aller plus vite.

[2] Nโ€™est-ce pas bizarre que Plenel reprenne lโ€™idรฉe de Barrรจs selon laquelle Rรฉpublique = dรฉracinementย (mรชme si cโ€™est pour sโ€™en fรฉliciter)ย ? Ne peut-on pas penser ensemble Rรฉpublique et enracinementย ?

[3] Introduction ร  la Critique de la philosophie du droit de Hegel. Extrait iciย de ce texte gรฉnial (mais rรฉductionniste)ย : http://www.ac-grenoble.fr/PhiloSophie/logphil/textes/textesm/marx1m.htm

[4] Pour vous rendre compte du paternalisme colonialiste de Quellien, son ouvrage, ยซย La politique musulmaneย ยป est disponible iciย : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6152175h.r=quellien.langFRย ย  Petit extraitย : ยซย Lโ€™Islam a rรฉussi, parce que son dogme est simple, quโ€™il manque dโ€™originalitรฉ et de sacerdoce, et que cโ€™est une religion pratique et indulgente. Il nโ€™impose ร  ses adeptes aucune obligation en contradiction avec les lois de la nature et, par plus dโ€™un cรดtรฉ, il traite de la vie matรฉrielle et des occupations sensuelles chรจres aux noirs, dont il flatte les instincts. Lโ€™Islam est en harmonie avec les idรฉes du milieu, car il tolรจre lโ€™esclavage et admet la polygamie et la croyance aux gรฉnies et aux amulettesย ; il ne modifie donc pas lโ€™organisation sociale et รฉconomique des nรจgres et il retrouve mรชme chez eux ses propres institutionsย ยป, page II-III. ยซย Le noir, ร  notre contacte, รฉprouve le besoin de sโ€™รฉlever, de dรฉvelopper ses facultรฉs, il ne peut nous imiter, car notre mentalitรฉ et notre intellectualitรฉ sont actuellement incomprรฉhensibles pour lui. Mais il a, tout ร  cรดtรฉ de lui, le musulman dont lโ€™exemple est facile ร  suivre et dont la religion sโ€™adapte aisรฉment et confortablement ร  sa propre existenceย ยป, p.V.

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