Les Alternatives Catholiques

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Rémi Fraisse face au nihilisme politique

    Dans la nuit du 26 octobre, sous les projecteurs de la police, Rémi Fraisse, militant écologiste de 21 ans meurt, suite à une grenade offensive lancée par la gendarmerie. Il militait contre le désastre écologique qu’aurait entrainé la construction du barrage de Sivens sur une zone humide. Immédiatement après sa mort, des manifestations ont lieu partout en France. De la mort d’un jeune homme on passe à des manifestations politiques. Comment la mort d’un individu peut-elle avoir un sens politique ?

    La mort d’un individu a toujours quelque chose d’absurde : la mort coïncide rarement avec l’achèvement d’une vie ; elle est souvent brutale, déconnectée du sens de notre existence. Tel meurt en traversant la route, tel autre suite à une maladie incurable, sans que leur mort soit justifiée. La mort ne rend pas de compte. De même la mort de Rémi Fraisse semble d’abord absurde. Rien ne justifie qu’un jeune homme meurt ainsi, au sortir d’une soirée arrosée entre amis.

Et pourtant cette mort révèle quelque chose.

La mort d’un individu est aussi un moment de dévoilement. Songez à toutes les vérités qui peuvent être prononcées lors des enterrements… Ou encore, à la mort de Christophe de Margerie, PDG de Total : toutes les élites politiques lui ont rendu hommage. Le néophyte s’est rendu alors compte de l’influence de cet homme non seulement dans la vie économique, mais aussi dans la vie politique. L’hommage public rend compte de l’étendue d’une influence, que cette influence soit économique dans le cas du patron de Total, ou qu’elle soit morale ou intellectuelle. Songeons aux funérailles de l’Abbé Pierre ou de sœur Emmanuelle, le pays entier y assistait. Dans tous ces cas la mort de l’individu porte une vérité sur le corps social.

    Mais dans le cas de Rémi Fraisse il n’y a pas eu d’hommage national.

    Il n’y a pas eu d’hommage public, il y a eu une polémique. Une polémique pour savoir précisément ce que révèle cette mort. D’une part le gouvernement, et les partis politiques dans leur majorité essaient de montrer que cette mort révèle la violence de certains « casseurs » ou « anarchistes », violence qu’il faudrait nécessairement condamner et réprimer. D’autre part les militants écologistes disent que cette mort révèle la collusion entre la puissance publique et le capitalisme, la violence que l’Etat est prêt à assumer pour faire triompher des projets anti-écologistes. Je m’avoue incapable de trancher ce débat, mais il me semble que cette mort révèle quelque chose du débat écologique en France : si l’on veut prendre au sérieux les enjeux écologiques, jusqu’à les défendre par tous les moyens, on s’oppose non seulement à la force régalienne, mais aussi à la rhétorique disons « anti-terroriste » qui se développe dans d’autre secteurs.

    Tout se passe comme si le militant qui prenait au sérieux un enjeu politique, jusqu’à s’affronter à la police rejoignait la catégorie de plus en plus unique de l’opposant au système capitaliste, qui n’est plus la catégorie de « fasciste », mais la catégorie de « terroriste ». A la différence du fasciste, le terroriste est cet individu (et non cette masse) prêt à mourir pour ses idées. C’est ainsi que les opposants au barrage de Sivens sont tous assimilés à « des jeunes cagoulés, vêtus de noirs » (la Dépêche)… Et surtout, leur combat est assimilé au nihilisme des terroristes du 11 septembre qui « meurent pour leurs idées ». Ainsi le président du conseil général du Tarn, Thierry Carcenac a déclaré : «Mourir pour des idées, c’est une chose, mais c’est quand même relativement stupide et bête». Cette phrase aurait pu être dite à propos d’un kamikaze ! Le même Thierry Carcenac déclarait un peu plus tôt à propos des manifestants : « nous sommes dans l’irrationnel ». Cette manière de réduire un acte politique à son aspect violent en lui ôtant toute rationalité, c’est ainsi que la catégorie de « terroriste » est utilisée, explicitement ou non, pour désigner les individus qui meurent pour leurs idées.

    « Mourir pour ses idées », est-ce stupide et bête ?

    Le problème, c’est que la civilisation (pardon pour le mot ronflant) qui est la nôtre s’appuie sur des personnes qui sont « mortes pour leurs idées ». A commencer par la mort de Socrate et celle du Christ. Etaient-ils stupides et bêtes ? Ah oui, quand même, Socrate aurait pu écouter Criton et s’enfuir de sa prison ; le Christ aurait pu laisser Pierre sortir son épée pour le défendre… S’il y a quelque chose à condamner dans ce qui se passe à Sivens, ce n’est certainement pas de « mourir pour ses idées ». D’autant plus que d’après ce que l’on sait aujourd’hui, Rémi Fraisse était en spectateur dans le champ où s’affrontaient la police et les militants écologistes.

    C’est en ce point que la mort de Rémi Fraisse atteint sa puissance de révélation de la réalité de l’ordre politique. Dans la déclaration de Carcenac, on voit le profond nihilisme dans lequel se trouve une partie de la représentation politique, qui ne comprend plus le fondement sur lequel elle repose. Le fondement de l’ordre politique qui est le nôtre, c’est justement que certains sont « morts pour leurs idées », parce qu’ils n’étaient pas prêts à faire comme si de rien n’était, à jouer les indifférents. Parce qu’ils prenaient la vie politique au sérieux. Ce qui est loin d’être « stupide et bête ».

2 thoughts on “Rémi Fraisse face au nihilisme politique”

  1. Fraisse n’est pas “mort pour ses idées”.

    En France, il est très rare que de manifestations conduisent à mort d’homme. Les forces de l’ordre sont entrainées à l’éviter. Fraisse n’était certainement pas conscient de courir un danger mortel. Au pire une nuit au poste.

    L’affrontement était voulu par les casseurs qui s’infiltrent dans les manifestations de ce type. Ce sont eux les premiers responsables de la mort de Fraisse, dommage collatéral de leur violence fascisante. Sans préjuger de la possible responsabilité concurrente du gendarme qui a jeté la grenade.

    Cette note est surjouée.

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