Au terme de la campagne pour la Primaire de la droite et du centre, qui sโest achevรฉe dimanche soir par la victoire de Franรงois Fillon, le constat est limpide : les catholiques sont de retour dans le dรฉbat public. Il y avait bien longtemps, en effet, que lโon nโavait pas vu le catholicisme ainsi placรฉ sous le feu des projecteurs mรฉdiatiques, monopolisant les unes de la presse, affichรฉ, expliquรฉ, fantasmรฉ. Peut-รชtre mรชme depuis 2013. Faut-il sโen rรฉjouir ?
Ostensiblement draguรฉs par le โcandidat de Sens Communโ et par ses concurrents, les catholiques les plus attentifs ร ce type de manoeuvres ont dโabord semblรฉ savourer les signaux รฉmis ร leur adresse tout au long de la campagne : photographies de parvis dโรฉglise du 15 aoรปt, rรฉponses successives ร la Lettre des รฉvรชques, … jusquโau magistral โnโayez pas peurโ de Franรงois Fillon, couronnant le dernier dรฉbat entre les sept candidats. Mais plus encore que de ces attentions flattant leur orgueil, certains catholiques ont paru se dรฉlecter du retour de bรขton mรฉdiatique qui sโen est suivi, entre les deux tours, ร lโรฉgard de Franรงois Fillon, visant ร faire de lui le reprรฉsentant de la France la plus catholique, la plus traditionaliste, le suppรดt de la Manif pour Tous. Pour expliquer la surprise Franรงois Fillon, quoi de mieux alors que dโinvoquer les cendres des mobilisations de 2013 – quitte ร aider le camp Juppรฉ ร souffler รฉgalement sur les braises ? Il y avait dโune part, pour certains catholiques, le sentiment retrouvรฉ de peser en politique, lโimpression dโavoir โfait lโรฉlectionโ (comme si les 44% de votes favorables ร Franรงois Fillon avaient la saveur des millions de personnes descendues dans les rues contre la loi Taubira) et, dโautre part, une forme de satisfaction victimaire vis-ร -vis de la vindicte mรฉdiatique soulevรฉe par le candidat. Incompris de la sociรฉtรฉ, rรฉfugiรฉs derriรจre les remparts de son mรฉpris, les catholiques pouvaient ร nouveau resserrer les rangs.
Dans les deux cas, lโanalyse souffre dโune grossiรจre erreur dโapprรฉciation : il nโy a ร saluer ni la mobilisation croissante des marqueurs identitaires catholiques par la droite, ni la tempรชte mรฉdiatique orchestrรฉe par la gauche la plus sensible aux questions sociรฉtales. Car dans les deux cas, le โcatholicismeโ ainsi exposรฉ nโest quโune caricature, lโotage de la recomposition en cours du jeu politique.
La campagne de la Primaire nโa pas seulement rappelรฉ la place des catholiques dans lโรฉlectorat de droite, elle a confirmรฉ le rattachement du catholicisme ร une pensรฉe conservatrice cohรฉrente qui nโa fait que se consolider ces derniรจres annรฉes face ร la crise des sociรฉtรฉs europรฉennes. Dans cette optique, le catholicisme est mis au service dโune pensรฉe politique plus large, articulรฉe autour de la notion dโidentitรฉ : la rรฉponse ร la crise รฉconomique, politique et sociale passe par la restauration dโune identitรฉ perdue, diluรฉe dans la mondialisation et lโidรฉologie soixante-huitarde, battue en brรจche par la montรฉe de lโislamisme. La restauration de cette identitรฉ nโest pas seulement la seule rรฉponse ร apporter ร la crise, elle est aussi le dernier rempart contre lโeffondrement gรฉnรฉralisรฉ. Tout au long de la Primaire, le catholicisme a รฉtรฉ mobilisรฉ pour sรฉduire un รฉlectorat toujours plus sensible ร ces questions et qui nโest pas exclusivement catholique, mais plutรดt โcatho-friendlyโ, sensible ร lโhรฉritage chrรฉtien parce que sensible aux questions identitaires. Le catholicisme est ainsi mobilisรฉ comme marqueur dโidentitรฉ nationale, signe dโune grandeur passรฉe retrouvรฉe, dโune unitรฉ fantasmรฉe, dโune sociรฉtรฉ forte face ร la montรฉe du fondamentalisme islamique.
La campagne de Franรงois Fillon est exemplaire en la matiรจre, depuis les multiples rรฉfรฉrences au catholicisme prรฉcรฉdemment รฉvoquรฉes, en passant par la volontรฉ affichรฉe de transmettre ร nouveau un โrรฉcit nationalโ, lโattention accordรฉe ร lโรฉducation, la parution de son dernier livre, Vaincre le totalitarisme islamique, et ses dรฉclarations comme celle du 21 septembre au Cirque dโHiver : โCessons donc de faire croire quโil faut durcir les rรจgles de la laรฏcitรฉ au prix dโatteintes inacceptables ร la libertรฉ religieuse alors que seule la poussรฉe intรฉgriste qui enflamme le monde musulman est une menace pour notre sociรฉtรฉ.โ Les attaques rรฉpรฉtรฉes en direction des mรฉdias ne sont elles-mรชmes quโune pierre apportรฉe ร cette vaste construction idรฉologique : elles visent surtout ร favoriser la construction dโun ennemi ร gauche, tout puissant, oppresseur et faussement majoritaire, bien-pensant et รฉloignรฉ du sens commun. Enfin, les questions sociรฉtales permettent de jouer sur trois tableaux diffรฉrents, au-delร mรชme de la sรฉduction de lโรฉlectorat catholique : la rรฉactivation du clivage gauche-droite, le rattachement ร des valeurs anti-soixante-huitardes et lโappel ร la vindicte mรฉdiatique, permettant de se confirmer dans ses positions. Sans รชtre lโauteur de la partition idรฉologique, Franรงois Fillon a su en รชtre l’interprรจte en reprenant ร son compte la droitisation ร lโoeuvre, alors mรชme que, dans le mรชme temps, Alain Juppรฉ signait une campagne sur lโidentitรฉ heureuse, loin des prรฉoccupations du moment dans l’รฉlectorat de droite. Sans rien enlever aux convictions – sans doute sincรจres – du candidat Fillon, il est certain que ce dernier a su jouer ร bon escient de ses โvaleursโ auprรจs de cet รฉlectorat. Comment le dรฉdouaner dรจs lors totalement de la tempรชte mรฉdiatique qui sโen est suivi, dans lโentre-deux tours ?
Lโaffaire de la croix armรฉnienne portรฉe au soir des rรฉsultats par Valรฉrie Boyer, porte parole de Franรงois Fillon, sur un plateau de tรฉlรฉvision, paraรฎt finalement rรฉsumer toute la campagne : une entreprise dโaffichage dโun catholicisme rรฉduit ร sa dimension symbolique, exposรฉ dans lโunivers mรฉdiatique au service dโune construction idรฉologique identitaire. Le catholicisme est devenu rentable รฉlectoralement au-delร mรชme du seul รฉlectorat catholique : si Franรงois Fillon choisit de mener une campagne teintรฉe de christianisme – chose quโil nโa jamais fait avec autant dโapplication jusquโalors -, cโest quโil sait bien que cette coloration chrรฉtienne est aujourdโhui plus bรฉnรฉfique que prรฉjudiciable. La conviction des personnes nโest pas en jeu, mais bien leur responsabilitรฉ dans la poursuite dโune guerre des symboles.
Le catholicisme caricaturรฉ par la gauche, qui ne lui permet que de se rassurer sur la survivance du clivage gauche-droite – ร lโheure oรน les sujets รฉconomiques et sociaux la mettent moins ร son aise -, nโa rien ร envier ร un catholicisme pris en otage par la droite dans sa mue identitaire actuelle. Comment ne pas dรฉplorer cet affichage dโun catholicisme bien plus objet que sujet du dรฉbat public, trophรฉe destinรฉ aux musรฉums de lโidentitรฉ historique bien plus que force de transformation pour inventer le monde qui vient ? Comment ne pas dรฉplorer que les grands perdants soient, prรฉcisรฉment, tout ร la fois la politique et le catholicisme ?
Trรจs bonne analyse, que j’apprรฉcie. Je pense, comme vous, que cette rรฉsurgence identitaire n’est pas un bon signe pour le catholicisme. Votre conclusion est excellente et pointe le cลur du problรจme. On aimerait un catholicisme “force de transformation pour inventer le monde qui vient”. Un catholicisme ayant une rรฉelle vitalitรฉ. Une remarque concernant votre avant-dernier paragraphe : je ne suis pas certain que “la coloration chrรฉtienne (sera encore) bรฉnรฉfique รฉlectoralement” lorsqu’il s’agira du premier tour de l’รฉlection prรฉsidentielleย โฆ et non plus d’une รฉlection qui concernait essentiellement un vivier รฉlectoral trรจs prรฉcis et limitรฉ. Il me semble plutรดt que la “rentabilitรฉ รฉlectorale” du catholicisme “identitaire” est restreinte dans la France d’aujourd’hui et qu’elle peut produire l’effet inverse lorsqu’il s’agit de s’adresser ร un รฉlectorat beaucoup plus large et qui dans sa majoritรฉ ne hume pas avec faveur le “catholicisme identitaire” (ce qui favoriserait le vote pour d’autres candidats qui s’afficheront centristes et pleinement laรฏcs). Nous courons ainsi le risque d’un รฉtrange et inquiรฉtant premier tour avec un nombre de candidats trop รฉlevรฉ (annulant l’effet attendu des primaires), et tout ce qui s’ensuit dans le contexte qui est le nรดtreโฆ
Je gardais une petite rรฉserve effectivement quant ร la poursuite de cette campagne identitaire catholique au-delร de la Primaire. Le fameux “je suis chrรฉtien et, de surcroรฎt gaulliste” de Franรงois Fillon semble conforter la dynamique. A suivre…