Depuis dimanche dernier, en réaction au score historique du Front National aux élections européennes, les prises de position de la classe politique se sont suivies et ne se sont que trop ressemblées, massivement enracinées dans un mot d’ordre anti-populisteinefficace et délétère. On a pu être révolté par une telle rhétorique sans être le moins du monde partisan du vote frontiste, mais animé par une réelle inquiétude quant à la capacité des responsables politiques à lui apporter une réponse. Pour peu que leurs interventions aient eu un aspect théâtral et distrayant, elles ont surtout été le témoignage d’une sphère politique plus capable d’émotionnel et de moralisme que de réalisme, jetant de l’huile sur un feu qu’elle s’employait à éteindre. C’est ici que s’exprime l’un des plus lamentables paradoxes de la communication politique : en dénonçant l’instrumentalisation des craintes du « peuple » et l’ignorance irresponsable de ce dernier, les anti-populistes ne font qu’encourager et singer les populistes en cherchant à en prendre le contre-pied. L’anti-populisme est un populisme.
Anti-populisme et populisme ne sont en effet que les revers d’une même médaille : celle de l’aveuglement et de l’irresponsabilité politique. Faux jumeau du populisme, l’anti-populisme s’avère non moins extrême et d’autant plus dangereux qu’il se donne les apparences de la vertu. Il est surtout profondément révélateur d’une conception de la politique, de la démocratie et du citoyen qui anime nombre de nos gouvernants et qui interroge sur leur capacité à prendre la mesure de la crise politique actuelle. Car se saisir constamment de la bannière de la lutte contre les « extrêmes » et contre tout ce qui peut être rangé derrière le vocable fourre-tout de « populisme » révèle en général une incapacité flagrante à affronter les problèmes de fond, à se remettre en cause et à tendre l’oreille en direction de l’électorat.[1]
L’anti-populisme est un élitisme. Non pas un élitisme de classe mais un élitisme de valeurs. Au nom d’un prétendu « cercle de la raison » opposé à un « cercle des passions », les anti-populistes font des victimes du populisme de grands enfants, tout en légitimant au passage leur propre présence au pouvoir. Le mépris du « peuple » va encore plus loin lorsque l’opprobre est explicitement jetée sur le vote frontiste, traité comme la pire des abjections, en véritable « honte pour la France »[2]. On touche ici au paradoxe d’un discours d’exclusion se revendiquant du combat contre « le rejet de l’autre ». Dans son numéro paru ce mardi, le journal Le Monde allait particulièrement loin dans l’expression de son indignation : « En Europe, où elle faisait déjà figure de maillon faible, la France va inévitablement apparaître comme le mouton noir en proie aux délétères – et détestables – pulsions du national-populisme ».
L’attitude anti-populiste héberge un second paradoxe : combattre le populisme passe bien souvent par des solutions proprement populistes. Combattant ceux qui prennent le peuple par les sentiments dans un contexte de crise généralisée, les anti-populistes se tournent vers le malheureux « peuple », lui expliquent qu’il a voté de la sorte parce qu’il est dans la misère sociale et économique et lui proposent des mesures pour améliorer ses conditions de vie. Ce n’est donc pas un hasard si Manuel Valls s’est empressé de rappeler ce dimanche sa volonté d’augmenter prochainement les plus bas salaires.
Les postures militantes anti-populistes sont donc inefficaces à plusieurs titres. Elles contribuent à amplifier le sentiment de distance entre la classe politique et les citoyens, déjà largement nourri par la multiplication des scandales médiatiques, par l’enfermement des partis dans des visées purement politiciennes et par le cantonnement des discours et programmes dans des logiques ouvertement idéologiques. En cela, elles font bel et bien le lit du populisme, quand elles n’y ont pas elles-mêmes recours dans une tentative désespérée de sauver la situation. De ce jeu usant alternativement des cordes anti-populiste et populiste résulte un concert inaudible et néfaste, abondamment relayé par les médias.
Il semble plus facile de lutter contre un ennemi que l’on contribue à se façonner que de prendre ses responsabilités et de se mettre au travail, en s’interrogeant par exemple sur l’assise démocratique de l’Europe et son lien aux citoyens et aux États, en remettant en question les modes de gouvernement et l’attitude de la classe politique. L’anti-populisme est un aveuglement, une volonté de ne pas dire le nom des crises qui agitent nos sociétés contemporaines au nom de doxas qui transcendent et minent les partis.
[1] Analyser l’anti-populisme n’a rien de partisan : il s’agit bien d’abord de s’interroger sur les stratégies politiques – dont chacun peut être juge quel que soit son ancrage politique –, ainsi que sur les conséquences de l’anti-populisme – à savoir la distance toujours accrue entre gouvernants et gouvernés. Se réjouir de ce dernier aspect relèverait d’une vision tristement court-termiste. En outre, une politique se résumant à des opérations de communication finit par sonner creux : elle se doit d’être en premier lieu pouvoir d’agir et terreau d’initiatives concrètes. La politique est donc abordée ici avec un regard qui n’essaie d’avoir pour seul parti que l’exigence du Bien Commun. [2] Cf) la déclaration du député EELV Barbara Pompili.
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