Les Alternatives Catholiques

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Femmes, résistez aux laboratoires !

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Publié le 9 octobre 2013 Aucun commentaire

Voici un petit article de Marianne, étudiante en philosophie et membre des Alternatives Catholiques : 


Euthanasie, écologie, manipulation d’embryons, transhumanisme. Nous sentons confusément qu’un lien ténu mais nécessaire unit ces sujets, qui jette une lumière ombrageuse sur l’avenir. Nous savons bien que notre temps a un problème avec le vivant, comme tous ceux qui l’ont précédé sans doute, mais appuyé cette fois sur une maîtrise technique qui rend dangereux le moindre contre-sens sur ce qu’est la vie, ses limites, ses fragilités. Et pourtant, parler de “maîtrise technique du vivant” paraît insuffisant pour rendre compte du malaise général qui entoure notre conception de la vie.

       Une brusque illumination sur ces questions m’est venue de la lecture de Descartes. Vous me pardonnerez donc un petit détour par la philosophie classique. Il s’agit en effet pour Descartes de ne comprendre le vivant qu’à partir de ses manifestations extérieures. Pour élaborer une réelle science du vivant, il est nécessaire d’abandonner les causes occultes et autres fantasmes médiévaux pour ne considérer que ce qui se donne à voir dans l’observation. Or ce que l’on voit, c’est un mécanisme, c’est-à-dire du non-vivant. Quel sera alors le critère de la vie pour Descartes ? La raison, et la raison seule. Or, comment savoir si la personne en face de nous est raisonnable, c’est-à-dire vivante ? Nous ne pouvons avoir accès à la vie d’autrui que par les manifestations extérieures de sa raison. En d’autres termes, si l’être qui est en face de nous est incapable d’interaction raisonnable, alors cela signifie non seulement qu’il est privé de raison, non seulement qu’il n’est pas humain, mais surtout qu’il n’est pas même vivant. (Je vous revoie pour cela au très célèbre passage de la IVème partie du Discours de la Méthode sur l’âme des bêtes).

     Je ne peux donc considérer comme vivant qu’un être qui se manifeste comme être de pensée. C’est là l’envers nécessaire du mécanisme, c’est-à-dire de toute science expérimentale du vivant. Vous commencez à voir, j’imagine, le lien qui se dessine avec l’actualité qui nous préoccupe. Si l’être en face de moi ne peut tenir le langage de la raison, alors il est déchu du statut même de vivant : il est euthanasiable, exploitable, manipulable. Mieux : parce que la vie n’est que raison, alors substituer le calcul technique et rationnel à l’engendrement et à la mort aléatoires, c’est rendre au vivant sa dignité de pensée, de raison, et in fine, de technique. Fabriquer un homme est plus digne de la vie que de livrer sa conception aux hasards de la nature. Euthanasier un tétraplégique, c’est rendre hommage à la vie qu’il n’a plus en lui permettant de faire preuve, une dernière fois, de rationalité. N’est vivant que ce qui pense, n’est digne de la vie que ce qui est rationnel. Adieu surprise de la naissance et déchirement de la mort, adieu émerveillement béat devant ce qu’on ne maîtrise pas : tu seras une machine ou un cerveau, mon fils, tu seras quelque chose qui calcule, ou qui est calculé. C’est là l’envers de la technique, c’est la rançon à payer pour vos I-Phones.

     Parce qu’il n’y a nul degré entre la pensée et la machine, il n’y a nulle nuance entre le respect infini accordé à la volonté du moindre être humain, et le mépris sans fond concédé à tout ce qui ne pense pas, à tout ce qui ne pense pas encore, à tout ce qui ne pense plus. C’est pourquoi, devant la volonté du moindre petit moi, rien ne peut résister : nul grabataire, nul écosystème, nul embryon, nul enfant.

      La vérité est que l’homme a toujours été terrorisé par ce qui fait la spécificité de la vie, par ce qui rend la moindre souris plus fascinante que n’importe quelle machine : la capacité d’engendrement. Il est à noter, par ailleurs, que Descartes n’aboutit à sa théorie qu’en écartant explicitement la question de la génération de son questionnement (voir les premières pages du Traité de l’Homme). Et notre monde meurt de cette ignorance. Nos ancêtres ont vénéré dès l’origine des statuettes de femmes girondes, déesses de la fertilité. C’est sous le visage d’une femme qu’ils adoraient la mère nature ; et sous ses traits, c’étaient les mystères de la vie et de la génération qu’ils cherchaient à conjurer (voir Beauvoir, Le Deuxième sexe, tome I, deuxième partie). Un homme est à la charnière des anciens cultes et de la nouvelle technique : c’est Pygmalion. En créant Galatée, cette statue de femme qui devait prendre vie sous ses yeux, Pygmalion devenait le modèle de tous les hommes, je dis bien les hommes, qui à sa suite voudront conjurer le mystère du vivant en fabriquant des machines infernales, des chimères, des clones, et autres fantômes de Frankenstein. Je ne peux m’empêcher de penser que tout cela manifeste une secrète jalousie, à moins que ce ne soit une stupide ignorance, des hommes envers les femmes qui peuvent porter la vie, les femmes qui ressentent en leur chair qu’elles ne sont ni une machine ni une pure pensée. Pourrait-on aller plus loin en cherchant ici la raison pour laquelle on s’est toujours moqué de la prétendue irrationnalité féminine ? Irrationnalité apparente de cette vie que l’on ne peut maîtriser, de cette vie qui se manifeste en amont de toute pensée, qui n’est ni la spéculation inoffensive des anges, ni la rationalité rassurante des machines.

     Il y a là un combat à mener, sur deux fronts, pour la reconnaissance de la spécificité du vivant, et, à travers lui, pour la reconnaissance de la spécificité de la femme. Il ne faut pas lutter contre l’euthanasie, la PMA, la manipulation des embryons ou le transhumanisme. Il faut défendre la vie comme engendrement, et la femme comme mère. Et, plus profondément, il faut refuser de réduire la vie à ce qui peut se manifester à nos yeux grossiers, paroles savantes  ou engrenages mécaniques. Dans le coma je ne parlerai plus, dans le ventre de ma mère, je ne parlais pas encore ; il est en moi une germination silencieuse qui ne se manifeste pas, mais que tous les savants fous n’auront de cesse de faire taire, en tentant de la reproduire. Femmes, résistez aux laboratoires : en vous fermentent toutes leurs réfutations.

     Je terminerai par là où j’ai commencé, en citant Descartes, qui formule ainsi cet élémentaire principe de précaution, qui doit valoir, non seulement pour nos amis les bêtes, mais pour tous les morts en sursis, futurs euthanasiés, futurs avortés, futur matériel de laboratoire : “Cependant, quoique je regarde comme une chose démontrée qu’on ne saurait prouver qu’il y ait des pensées dans les bêtes, je ne crois pas qu’on puisse démontrer que le contraire ne soit pas, parce que l’esprit humain ne peut pénétrer dans leur coeur pour savoir ce qui s’y passe.” (Lettre à Morus du 5 février 1649)

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